mercredi 5 avril 2017

comme on n'oserait plus


Elle avait envie de viser Combremont. Pour une fois, c'était elle qui allait faire une tournée en enfance. Juste avant d'y arriver, elle nous a raconté que c'était son grand-père Gottfried qui avait quitté la Suisse-allemande pour venir ici, sa femme enfantant pas moins de quatorze fois.

Maintenant, il est dans un angle du cimetière, Gottfried, sous un cyprès qui mesure plusieurs mètres.

Un peu plus loin, il y a tante Anna et tante Emma, respectivement 94 et 91 ans.

"Ben moi, j'vais pas arriver jusque là, mais j'm'en fous", a dit la Cri-Cri, qui soufflera ses 84 bougies cet été.

Il y a aussi Berta, "qui n'a vraiment pas été gentille avec moi". (Maintenant que je l'écris ici, je me demande si ce n'est pas à son enterrement que ma maman a reçu une gifle pour avoir osé cette déroutante vérité d'enfant: "Pourquoi est-ce qu'il y a des gens qui pleurent, elle était tellement méchante, cette dame?!?")

Je me suis arrêté devant la tombe des époux Parriaux, amusé de voir inscrit Instituteurs juste sous leurs noms.

"C'est lui, c'est eux qui m'ont fait aimer la musique. Elle, c'était une pianiste virtuose. Pis lui, c'était un prof comme on n'oserait plus. Quand on jouait au foot, c'est tout juste s'il me disait pas de bouger mon cul."

Parlant de musique, elle ne passera pas "L'Octave", au nom prédestiné, sous silence, "c'est lui qui m'glissait un franc de temps en temps, mais en cachette, parce que si la Berta avait su, y se s'rait fait ruper. C'était une calure, il a été secrétaire communal des années. Il aurait voulu être notaire, mais son père a dit que comme ils avaient de la terre ici, il devait rester ici. C'est chez lui que j'ai entendu mon premier gramophone. Du Bovet." 

Elle a ensuite chantonné quelque chose, peut-être "La Marche des petits oignons" ou alors "La fanfare du printemps". Elle a levé la tête, signalant que "les pinsons s'en donnent à cœur joie" ce qui lui a rappelé que "l'oncle Maurice nous envoyait chercher les petits corbeaux pour les cuisiner. C'était délicieux. Tante Anna, c'est les petits blaireaux et les petits renards qu'elle nous a appris à manger."

En mettant au propre, un mois plus tard, les notes prises ce jour-ci, je sens à nouveau parfaitement ses yeux et sa voix humides, quand on a débouché au sommet d'une colline d'où on avait un coup-d’œil panoramique sur tout ce qui s'offre au regard depuis certains endroits du Jorat:

"Cette vue, j'm'en souviens. Pas tant du fait qu'on a eu froid et faim, pis qu'on devait sortir pour aller aux toilettes, mais cette vue, oui, c'est ça qui m'a le plus manqué, quand on s'est installés à Champagne. Pourtant maintenant tu sais combien je l'aime, mon pied-du-jura."

Elle a d'abord pensé au Château de Vuissens, pour croquer une morce, mais quand on y est arrivés, que j'ai vu l'accoutrement des clients, j'ai proposé qu'on opte pour un chouilla moins guindé.

Alors on est allés à l'Étoile de Combremont, et on a rudement bien fait. La Cri-Cri nous a encore réservé quelques sorties dont elle a le secret, me disant que j'avais "la pissotière en déroute", quand je m'éclipsais pour aller au petit coins, et disant à Vale, contemplant ses cheveux, qu'elle adorait son "aguillée de sicstus."

On en était au café quand sont passées devant nous une de ses amies de classe et sa sœur. Émotions à la buvette, dirait l'autre. Elles ont tchatché un p'tit coup, rien de trop, mais la Cri-Cri était de nouveau dans tous ses états.

"Vous savez que les deux, enfin surtout la sœur, c'était une sacrée bombe quand elle était jeune. Pas beaucoup d'mecs qui se retournaient pas sur son passage, j'peux vous dire."

Elle n'a pas ajouté que c'était tout pareille pour elle, mais moi je le sais, de même que la fois où celui qui deviendra son Georgy et mon grand-papa ira jusqu'à Zürich (en montant d'abord à Ste-Croix, histoire de se chauffer) pour la voir (elle y était fille au paire), espérant bien passer alors aux choses sérieuses, mais il n'aura au bout des coups de pédale même pas le droit à un baiser appuyé, elle prenant la fuite dès qu'il commencera à avoir les mains trop baladeuses.

Il tentera à nouveau sa chance, ils officialiseront tout ça, pis alors Clé-Clé, Boule, Kojak, Hédi, Nicole, Leila, moi, Sindy, Lolo, Habiba, Lucie, Zied et Dalil; série en cours.

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