"Et dans ce geste de lire, on peut toucher du bout des doigts
le cœur dissimulé qu'un autre avait tenté d'y écrire."
Tieri Briet, fixer le ciel au mur
Au moment de rentrer à vélo, après quelques heures à repeindre l'abri, au jardin chez mon oncle, on s'est dit qu'on n'allait pas aller droit au but, mais plutôt profiter de cette belle fin d'après-midi pour faire une boucle le long de l'Arnon.
Arrivés en haut du Cotabon, on a vu la Cri-Cri et la Lulu, venant chacune de son jardin, s'asseoir exactement en même temps, l'une à côté de l'autre, sur un petit muret. Chorégraphie parfaite. On n'a pas résisté et on s'est arrêtés, récompensés par l'histoire de la Lulu et de papy Charly, une amourette de montagne qui s'était transformée en idylle au pied-du-jura.
"C'était trop court, mais il avait des problèmes de cœur. Il avait dix-sept ans de plus que moi. On s'est aimé de 79 à 85."
Lulu l'évoquant avec encore des chatouilles dans le ventre et la Cri-Cri répétant "c'est vrai qu'il était gentil ce papy Charly".
"Je l'ai rencontré quand j'étais aux Diablerets avec mon p'tit fils. J'avais bien vu qu'il me regardait, ce p'tit bonhomme. J'me suis dit qu'il irait bien avec moi, parce que pour pas grand, il était pas grand. Pis une fois il s'est décidé à me demander si je voulais aller voir son joli buisson de fleurs. J'y suis allé. Pis là il m'a demandé si j'avais envie de voir son joli appartement. Je m'suis dit qu'j'étais bonne, que ça chauffait. Et pis voilà, après il est venu habiter ici, mais ça n'a pas duré assez longtemps. C'est comme ça."
La Cri-Cri disait à Vale "c'est trop joli. Tu verras qu'mon artiste, y va écrire ça en rentrant".
Elle avait presque raison, je l'ai fait quelques jours plus tard, au milieu d'une nuit chez le couple Y. Un endroit qui m'est un refrain pour quelque temps, puisque j'y assure, avec trois autres personnes, une présence en continu.
Mr et Mme Y ne voient et n'entendent presque plus rien. Lui a qui plus est des problèmes de démence, variables mais conséquents.
Quand j'y suis, je réalise encore plus combien l'écriture, même furtive, même anecdotique, offre un point d'appui sur le réel. Un rebond et une caresse. Noter certaines fulgurances ou certaines béances patinent différemment le temps qui n'en finit parfois pas de ne pas passer et permet de prendre un peu de recul avec les moments plus délicats.
L'attention aux mots, des siens et des autres, confère une épaisseur au réel et à la relation, alors que la vulgarité et l'arrogance ne parviennent qu'à les salir.
Il n'y a qu'à regarder à quoi ressemble la présidentielle française.
J'aime mieux sauver quelques paroles de monsieur Y:
"Quand on devient malvoyant, on commence à voir des choses qui n'existent pas."
"J'ai entendu parler de moteurs qui sont chargés de charger les oreilles."
"Le ciel a l'air de vouloir se résorber, avec tous ces nuages dedans."