S'il fait encore jour, je vais à la fenêtre et je guigne de l'autre côté de la route, histoire de voir s'il est là, à régner sur sa parcelle, à côté du chêne et du peuplier-tremble.
Belle amitié que celle de cette échasse à plumes avec ces stoïciens de bois.
C'est un peu bête, mais quand je ne devine pas sa silhouette, un petit manque de rien du tout vient flotter un moment dans ma poitrine.
Tout ça pour un héron, ce serait pas un peu con, me dira-t-on.
Sans doute. Sans doute.
C'est qu'il me donne l'impression, souvent, d'être le seul des êtres m'étant un refrain à ne pas chuchoter, dès que j'ai le dos tourné, ces mots que Natalia Ginzburg avait choisis pour Pavese: "il lui restait en effet, parmi les choses à conquérir, la réalité quotidienne."
Peut-être que je devrais me remettre à regarder la télévision.
"Un petit tour à pied avant d'aller se coucher pour se dégourdir les pattes, la truffe et les capteurs. Je sais que c'est bientôt terminé, je ne ressens aucune tristesse. J'absorbe encore plus intensément et globalement tout ce que je vois / ai vu / traversé avec mon corps. Ceci est mon corps. J'en fais un bon tapis dans le fond de mon cœur, bien souple, bien fourni comme on construit un tas de bois pour l'hiver, tout bien rassemblé mais avec de l'air dedans. Ceci est mon corps."
L'après-midi dominicale était grisouille, alors j'avais terminé quelques livres commencés, empilés près du lit-bateau, côté jura ou côté fabrique, selon le degré d'inspiration poétique du regard, de son humeur.
L'extrait ci-dessus a été grappillé dans "Patience des fauves", de Sandrine Cnudde, sous-titré "réseau d'affûts en territoire poétique". Je l'ai déniché l'été dernier, à Sète. Je l'ai traversé à petites lampées, chacune réjouissant mon gosier et me donnant envie de marcher, d'écrire et d'aimer les paysages côtoyés, ceux composés d'arbres et d'oiseaux autant que ceux en capilotade sur pas mal de visages croisés pendant mes vadrouilles hebdomadaires.
M'étant dit que je n'avais rien écrit par ici depuis un moment, j'ai picoré quelques notes dans mon carnet en jachère.
Patti Smith, décrivant sa table de travail dans "M train", parle de "débris d'écrivain". Me concernant, il serait plutôt questions de "copeaux de lecteur".
- me reviennent alors en tête les splendides morilles que Luca m'avait cuisinées il y a quelques années; elles étaient nées d'un tas de copeaux dispersés devant chez lui. Pas d'autres prétentions que celle-ci, à savoir que mes heures en compagnie de livres accouchent parfois de petits champignons de mon crû, à faire revenir sans tarder et à déguster en toute amitié. -
Je me suis ainsi souvenu avoir sauvé une parcelle d'une journée d'assistant-régie dans le Cube de Philipp Morris en lisant des chroniques de Mario Rigoni Stern: il y avait soudain d'autres cols à franchir que ceux des réglementations du commerce international; des langues qui se mélangeaient plutôt que de se noyer en anglais; des mollets et du souffle plus utiles que des badges pour explorer les environs.
Je me souviens avoir pensé, regardant courbettes et autres préciosités en vigueur à la réception, que ce défilé aseptisé illustrait de triste manière ce que dit Marielle Macé en parlant de ses élèves :
"J'essaie de partager avec eux la conviction qu'une phrase, c'est toujours une proposition de vie".
J'aime mieux sa résonance dans ces propos d'une petite fille, à Chambrelien, au moment où le train s'arrête avant de repartir en sens inverse pour reprendre la bon aiguillage. Elle était avec ses parents, toute contente (elle avait, quelques minutes plus tôt, agité la main en disant "Salut Neuchâtel, à bientôt"):
"Peut-être qu'on pourrait dire qu'aujourd'hui on reste ici pour toujours."
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